TRIBUNE

Il faut débloquer la chaîne de la construction de logements

(texte publié en octobre 2021)

L’expression est tellement usée qu’elle en devient presque insultante pour ceux qui sont directement concernés. Notre pays connaît une crise du logement endémique que rien ne semble pouvoir enrayer. 8 millions de personnes seraient en situation de mal-logement en France selon la Fondation Abbé Pierre. Une situation encore plus exacerbée dans les territoires en tension où la demande croissante, tant dans le parc social que privé, est en train de créer une ségrégation urbaine sans précédent.

Pourtant notre pays a su par le passé construire des logements de qualité et en quantité. La recette n’est d’ailleurs pas si complexe. Il faut un terrain, ou tout du moins des droits à construire, de l’argent, un opérateur et une autorisation administrative ; le permis de construire.

Si les terrains vierges et bien connectés se font rares, ce n’est pas le cas des droits à construire. Les plans locaux d’urbanisme adoptés ces dernières années ont tous intégré la nécessité de lutter contre l’étalement urbain et promeuvent la construction de la ville sur la ville par une densification raisonnée. L’argent ne manque par ailleurs pas. Le plan de relance de la construction “Habiter la France de demain” est doté d’un milliard d’euros. Avec plus de 500 bailleurs sociaux, 800 promoteurs immobiliers et de nombreuses agences d’architectes, notre pays ne manque enfin pas de professionnels de la construction qui savent produire des logements en quantité dès lors qu’ils en sont… autorisés.

Car au bout de chaîne, il y a le fameux permis de construire. Ce sésame à toute nouvelle construction ne peut en effet être délivré, aux termes de l’article L422-1 du code de l’urbanisme, que par le maire de la commune concernée.

Notre pays compte 35 000 maires, 35 000 autorités compétentes qui peuvent soit faciliter, soit au contraire entraver un projet, quand bien même celui-ci est en tout point conforme avec les règles d’urbanisme. Et chaque maire candidat à sa réélection connaît la règle à maintes fois vérifiée : “maire bâtisseur, maire battu”. Qu’il s’agisse de projets de promotion privé ou de logement social, un maire hésitera toujours à délivrer une autorisation de construction qui risquerait de cristalliser une opposition de la part de ses riverains-électeurs. Les professionnels de l’immobilier ont d’ailleurs bien intégré qu’il est inutile de présenter de nouvelles demandes de permis de construire à moins de deux ans des élections municipales !

Il est difficile de mesurer l’importance de ce phénomène mais il est indéniable qu’il participe à la difficulté de produire rapidement les logements qui manquent dans les grandes agglomérations, agglomérations dont les élus se désespèrent en même temps de pouvoir loger leur population !

Pour sortir de cette schizophrénie institutionnelle, le législateur qui examinera prochainement un énième projet de loi de décentralisation – le projet de loi 4D – pourrait réfléchir aux effets bénéfiques que représenterait le transfert du pouvoir de délivrer un permis de construire des maires aux présidents des métropoles et des grandes intercommunalités. Après tout, il ne serait pas illogique de confier à la même collectivité le soin de définir les règles d’urbanisme et de décider si les projets proposés y répondent bien. Par ailleurs, la mise à distance de l’administré de son élu présenterait le mérite de protéger ce dernier des “aimables pressions” des ses futurs électeurs. En matière d’intérêt général, la proximité n’est pas toujours bonne conseillère…

Nous avons conscience du caractère un peu révolutionnaire d’une telle proposition, le droit de délivrer des permis de construire fait partie du socle symbolique des pouvoirs des maires. Mais il convient aujourd’hui de hiérarchiser nos priorités. Si l’on veut réellement provoquer un choc de l’offre qui permettra tout à la fois de construire les logements sociaux attendus et de baisser le prix des logements en accession, il est temps de débloquer, enfin, le dernier maillon de la chaîne de la construction.